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Changeons, pour survivre

Je consacre d’ordinaire ce blog à la littérature. Mais notre vie est en danger aujourd’hui. C’est donc aux leçons à tirer de la pandémie que j’ai souhaité réfléchir (suite de l’article du 28 mars). Je rassure les amateurs des belles lettres, les auteurs accompagnent ma réflexion, des auteurs de romans, des classiques, des modernes, mais aussi ceux d’essais, d’articles, les penseurs  et bien sûr, les poètes.

Il est urgent de changer pour survivre, oui, parce que la pandémie tue, parce que la pandémie ruine (I). Urgent de changer nos façons de produire et de consommer (II). Urgent de respecter enfin la biodiversité(III). De financer l’hôpital, de relocaliser, de recentrer l’Etat sur son rôle….

I- CHANGEONS POUR SURVIVRE, nous n’avons pas le choix. Si PASCAL faisait son PARI aujourd’hui, il le ferait sur ce sujet, genre : « Il faut parier (que nous sommes capables de changer nos façons de produire, de consommer et de vivre) : nous sommes embarqués puisque, si nous ne le faisons pas, nous mourons. Et nous avons avantage à parier que c’est possible : si nous réussissons ces changements, nous gagnons tout (la vie); si nous échouons, nous ne perdons rien de plus, c’est la situation actuelle. Il faut donc parier.« 

1° En effet, la pandémie coronavirus tue. Depuis mon article du 28 mars, le nombre de décès est passé en France à 9000 morts. En Italie à 16000. En Espagne  à 13000. Aux USA  à 10000. Il n’y a qu’en Chine que le compteur serait soi-disant bloqué à 3333, tu parles, pour un pays aussi vaste, c’est un mensonge éhonté.

2) La pandémie rend misérables ceux qu’elle ne tuent pas dans les États qui refusent de verser des allocations aux salariés et indépendants privés de leurs activités : le chômage a augmenté de 66% en 8 jours aux USA ( 10 millions de chômeurs !), de 50% en Autriche et en Grande-Bretagne dont le triste sire de premier ministre, initialement décidé à laisser crever sa population faute de confinement, est hospitalisé.Ceux-là connaissent ou vont connaître la misère, la faim, peut-être la rue faute de payer leurs loyers. Car à la différence de la crise de 2008 due à un déséquilibre financier, la pandémie 2020 oblige les entreprises à réduire leur activité afin de ralentir la propagation du virus : elles accueillent du public ( restaurants, bars, librairies, médiathèques, spectacles etc) ou des équipes de travailleurs ou d’employés. L’économiste Paul SEABRIGH montre (Le Monde 1/4) que le défi est de réduire l’activité tout en préservant la capacité des entreprises à redémarrer, une fois la pandémie passée. C’est l’interêt du chômage partiel que les pourtant si brillants Trump et Johnson n’ont pas compris, il est vrai que faire payer par l’État 84% du salaire net aux salariés sans activité échappe à leur entendement corseté par la doctrine ultra-libérale.

 

II Il est urgent de changer nos façons de produire.
Je reproduis les grandes lignes de l’article publié dans Le Monde, le 4 avril, par Philippe GRANDCOLAS, directeur de recherche au CNRS et au laboratoire Muséum national d’Histoire naturelle :

« Les épidémies se multiplient depuis des décennies. La majorité sont des zoonoses : des maladies produites par la transmission d’un agent pathogène entre animaux et humains.  L’émergence de ces maladies infectieuses correspond à notre emprise grandissante sur les milieux naturels : on déforeste, on met en contact des animaux sauvages chassés de leur habitat naturel avec des élevages domestiques proches de zones péri-urbaines. On offre ainsi à des agents infectieux des nouvelles chaînes de transmission(..).

Exemples :

. SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) : combinaison de virus d’une chauve-souris et d’un petit mammifère carnivore;

. SIDA : contamination de primates, puis transmission à des centaines de millions de personnes;

. EBOLA : au départ, une chauve-souris. La population meurt sur place, donc Ebola se développe moins facilement. (ps :Paule Constant en a fait un roman que j’ai trouvé bon, le titre m’échappe, il y a chauve-souris dedans.)

Oui :  l’origine du Covid 19 est liée aux bouleversements que nous imposons à la biodiversité. L’émergence de ces nouvelles maladies vient :

  • de rencontres entre humains en santé précaire et milieux tropicaux riches en agents infectieux;
  • du morcellement des habitats naturels où la diversité diminue : les agents infectieux ont moins d’ennemis, ils se transmettent.

Il n’y a pas qu’en Chine que les marchés sont mal gérés. Mais c’est vrai qu’il y en a beaucoup là-bas, les élevages chinois sont si nombreux que des agents infectieux prospèrent, d’où la grippe aviaire. En Europe, la promiscuité entre un grand nombre d’animaux les rend vulnérables à des maladies traitées avec des…antibiotiques. En France, nous tuons des centaines de milliers de renards chaque année. Or ils sont aussi prédateurs de rongeurs porteurs d’acariens qui peuvent transmettre la maladie de Lyme par leurs piqures. La chauve-souris n’est pas qu’un réservoir de virus. Elle est aussi prédateur d’insectes et pollinisatrice de plantes. » Le chercheur conclut en préconisant d’arrêter la déforestation, de  favoriser les circuits courts, de substituer d’autres consommations à la viande de brousse…

III- RECENTRONS L’ETAT SUR SES MISSIONS DE SERVICE PUBLIC au lieu de l’éparpiller sur des sujets moins utiles aux populations comme :

les vols spaciaux (avant de s’occuper de la Lune ou de Mars, et si on rendait la Terre vivable?), l’intelligence artificielle, la commerce pour le compte des entreprises, la prise de participation au capital d’entreprises non stratégiques (constructeurs de voitures ou de bateaux, suivez mon regard)…

Qu’il finance d’urgence l’hôpital public.

Qu’il réindustrialise la France en délocalisant les processus de production de médicaments ou objets vitaux (on parle beaucoup de masques en ce moment, d’appareils respiratoires…)

Qu’il INTERDISE les élevages intensifs d’animaux stressés et homogènes : les épidémies se développent à partir de telles exploitations. La ferme des 1000 vaches, ça vous parle?

Qu’il FAVORISE LES CIRCUITS COURTS des producteurs aux consommateurs (éviter que tel légume ou tel fruit fasse le tour de la planète pour atterrir dans nos assiettes).

Qu’il VALORISE LES METIERS DU VIVRE ENSEMBLE : soignants, aides ménagères (nos chers amis Autrichiens, si fermés sur leurs nombrils, font venir les leurs en avion de Bulgarie!), caissières, conducteurs…

IV CE RECENTRAGE ET CES MESURES DE BON SENS SE HEURTERONT A DES OPPOSITIONS

  1. Opposition de ceux qui ont la religion de la « concurrence pure et parfaite« . Elle est stupide cette religion, ce n’est pas le plus mince apport du Covid 19 de le démontrer : nous découvrons, effarés, que nous avons délégué à la Chine, moins chère, la production vitale de masques, médicaments, appareils.
  2. Opposition de ceux qui ont la religion de la maîtrise du déficit public. On le voit aujourd’hui : 4 pays eux-mêmes touchés (Allemagne, Autriche, Finlande, Pays-Bas) rejetent le projet de 9 autres plus sérieusement atteints (dont Italie, Espagne, France) consistant à émettre des obligations européennes « coronabonds ». Grâce à ces obligations, les pays n’ayant plus aucune marge de manoeuvre (Italie) emprunteraient à moindre coût grâce à la garantie d’Etats actuellement plus solides (demain, qui sait?). Pour l’instant, vu la gravité de la situation, des solutions sont trouvées. Si l’argent va directement aux entreprises (surtout aux PME) et aux ménages, et pas aux banques, des faillites individuelles ( faim, perte de logement etc) et collectives (fermeture d’entreprises) seront évitées. Ainsi les USA leur allouent ils 1000 milliards de dollars, la somme est si énorme que je ne la visualise pas. En Europe : la Banque Centrale Européenne affecte 1100 milliards d’euros au rachat de dettes; la CEE 100 milliards aux Etats pour compenser les pertes de revenus (salariés et indépendants), ils ont trouvé un nom sympa par les temps incertains que nous vivons : SURE!!. Ursula Von der Leyen, la Présidente, vient d’annoncer 30 milliards de secours aux Etats (le Monde 5/4). Enfin, à défaut des coronabonds, il serait d’un seul coup possible de puiser dans les 410 milliards d’euros du Mécanisme Européen de Stabilité, enfin, si les 4 États partisans de la rigueur l’acceptent, rien n’est joué. Personnellement, je crains que ce dogme de la maîtrise du déficit public ne soit abandonné que provisoirement, dans l’urgence et l’effroi; après, les Pères La Rigueur  recommenceront à fouetter les autres. Ce serait ça de pris, bien sûr. Et ce ne serait pas si exceptionnel qu’ils le disent. L’économiste Gaël GIRAUD (Obs, 26/3) cite le taux des déficits publics américains pendant la guerre : 12% en 42, 26% en 43, 20% en 45. Le Président Français a proscrit toute limite à l’endettement public. Sans préciser la durée de cet engagement.
  3. Opposition de visions du monde. Elle pointe déjà. Par exemple, un prix Nobel d’économie, le Français Jean Tirole, se joint au consensus pour un changement de comportement et de politique. Lui aussi demande que les investissements dans l’éducation et la formation continue soient prioritaires. Lui aussi préconise de lutter contre le changement climatique et les inégalités. Voilà pour le consensus. Les divergences apparaissent lorsque la répartition des coûts est envisagée. Mr Tirole en appelle à l’initiative des citoyens, pas à l’action des États. Ce serait, selon lui, aux citoyens de « placer la vie au-dessus de l’argent », à eux de réduire leur consommation en échange d’un monde plus sûr. En clair, à chacun de nous de réduire notre consommation pour payer notre éducation et notre santé. Immédiatement des voix s’élèvent : l’économiste Pierre Khalfa (Le Monde 30/03) conteste que ce soient les citoyens les responsables. Ce sont les politiques et les économistes néolibéraux qui les accueillent. Il conteste l’avis de Tirolle et s’indigne que la consommation ostentatoire des riches reste taboue dans ces circonstances…
  4. On voit arriver la zizanie habituelle. Faut-il répartir le coût économique de la pandémie? Il représente 20% du PIB, c’est énorme. Ou l’État doit-il le prendre à sa charge? Si le choix est de le répartir, faut-il le faire égalitairement (selon le barème progressif de l’impôt sur le revenu)? Distinguer selon les générations, les plus vieux payant plus parce qu’ils auraient plus de responsabilités dans ce qui arrive? Taxer les hauts revenus? Les multinationales florissantes?
  5. Bien sûr, la course à l’argent reprendra. Produire pas cher, vendre cher, gagner, gagner.
  6. Je crains que ce soit ça, notre rocher de Sisyphe, cette situation absurde (à terme) de toujours vouloir gagner plus quitte à ce que, tous les 10 ans, on risque de perdre beaucoup. La vie, un jour. Finalement, notre réflexion collective n’a guère progressé depuis 1516, date de la parution de « l’Utopie ». Son auteur, Thomas MORE, décrit ce qu’il juge être la meilleure forme de communauté politique : « égalité des biens ou des maux entre les citoyens, amour de la paix et de la tranquillité, mépris de l’or et de l’argent » sont les piliers des lois utopiennes. Bien loin de l’orgueil et de la convoitise. Au dessus de ces piliers, la Justice. Sans pour autant que les biens soient mis en commun. Sans religion unique. Sans guerre. Surtout, surtout « en vivant en accord avec la nature qui remplit l’âme de majesté divine et incline au plaisir en même temps qu’à aider les autres à l’obtenir ». Ce rêve de république harmonieuse et épicurienne ne lui a pas directement coûté la vie, Henri VIII le féroce la lui ôta lorsqu’il refusa de bénir son nouveau mariage avec Anne Boleyn. A moins que…, qui sait? Après, bien après, il y eut des sursauts dans le sens de Thomas MORE. Ainsi en 1968, le Club de Rome (il réunissait scientifiques, fonctionnaires, industriels économistes de 52 pays) dénonça les dangers de la croissance économique et démographique : pénurie possible des ressources énergétiques et minérales (pour celles-là, on y est, la Chine a tout acheté), conséquences du développement industriel sur l’environnement (on y est aussi), persistance de la malnutrition(idem, hélas)…(« Les limites à la croissance », 1972)

v  » Récapitulons,

Récantopilu » dirait le poète Jean Tardieu :

Notre navire coule.

Nous avons à bord les outils, les compétences, l’argent et un délai suffisant pour colmater la brèche par laquelle l’eau commence à nous engloutir.

Nous agissons.

Nous voilà sauvés. Des déclarations sont faites, on sauve l’hôpital, la santé.

Et puis c’est tout. La plateau des 1000 vaches ne sera pas démembré. La déforestation continuera. L’habitat naturel sera morcelé de plus en plus, nos campagnes mitées, les animaux sauvages rapprochés des animaux domestiques et des humains, les renards tués, les sangliers nourris au plus près des demeures pour les « chasser » plus facilement…

Parce que c’est moins cher en Asie, nous continuerons à y faire produire ce que nous consommons. Les légumes feront des kilomètres avant d’atterrir dans nos assiettes.

Je suis réaliste, l’argent continuera à guider la cupidité des hommes. Il n’y a pas de consensus ni en France (des commissions d’enquête sont déjà créées au lieu de nous unir pour en sortir), ni dans le monde, encore moins dans le monde.

Jusqu’à quand, ce cirque?